“Pourquoi tu ne sors pas plus de livres ?”

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(Oh, elle est toujours là !)
Oui toujours, et pour mon retour sur ce site qui sent un peu la poussière, j’ai sélectionné une question qui m’a été souvent posée, parce qu’elle est très intéressante et je constate souvent, à travers elle, à quel point on connaît mal la réalité du secteur, édité ou auto-édité.

Disclaimer : il est évident que comme à chaque fois, je vais parler de mon propre vécu, ressenti, etc etc… Toutes les situations sont différentes, il y a autant de particularités qu’il y a d’auteur·ice·s.

Un processus créatif capricieux
Dans mon cas particulier, donc, un livre c’est plus d’un an de travail. On tourne même, pour être plus précis, sur bien dix-huit mois entre le moment où le livre est écrit et celui où il est commercialisé. La raison principale est toute bête : je ne peux pas écrire tous les jours.
Je sais, je sais, un mythe s’effondre 😛
Blague à part, si je devais quantifier le temps que je peux passer sur mes romans, on serait sur 1 à 2h par jour. Plus, si c’est le week-end. Et ça, ce sont dans des conditions idéales, quand je n’ai pas d’impératifs, quand ma concentration est au maximum et que j’ai déjà une idée de ce que je vais écrire. Autant dire que ce n’est claiiiiiirement pas tout le temps ^^’
Pour écrire un roman, il me faut des conditions particulières et souvent, j’utilise les temps de NaNoWriMo pour les commencer. Ça ne fonctionne pas toujours, mais ça aide. Parfois, je regrette le temps où, plus jeune, je pouvais écrire n’importe où, n’importe quand, j’avais toujours une idée, de l’inspiration. Mais c’est comme ça, on n’a pas toujours d’emprise sur tout.
Écrire cet article, par exemple, m’a pris une bonne semaine en tout. Papillonner entre chaque paragraphe pendant des heures, ma passion.

Alors, comment on fait quand on n’écrit pas tous les jours ? On lit ! Beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Je suis quelqu’un qui a besoin d’avoir des connexions permanentes avec mes histoires. Je dois en parler, je dois “voir” les personnages (sous-entendez, les acteur·ice·s qui les représentent dans ma tête) (je regarde beaucoup de séries précisément pour ça), je dois visualiser certaines scènes sous plusieurs angles dans ma tête, je dois “entendre” les dialogues. Sans ça, je ne peux pas écrire non plus. Et a contrario, ce n’est pas parce que je n’en parle pas que rien ne se passe. En ce moment, j’ai une histoire très précise en tête, qui n’est pas celle que je prévoyais mais qui est en train, petit à petit, de (re)prendre toute la place. Je sais que probablement, bientôt, j’aurais atteint le point “je dois l’écrire”. Une envie irrépressible, presque violente. Ça va me prendre aux tripes et je devrais absolument tout coucher sur le papier.

Bref, vous l’avez compris, écrire est un processus capricieux et en évolution constante. J’ai souvent essayé de le dompter, j’ai été coachée pendant des mois pour ça, mais il n’y a rien à faire. Je fonctionne par impulsivité créative. Vous pourrez vous-même en remarquer les signes, d’ailleurs. Souvent, si je parle de tel personnage ou tel sujet en particulier, ça veut dire que je suis en plein dans un projet et que j’ai besoin d’extérioriser. Je ne cherche pas forcément de retours, juste, j’ai besoin d’en parler.
Anecdote rigolote, j’ai compris il y a quelques temps que je présentais des signes de synesthésie, c’est-à-dire que j’associe souvent deux sens particuliers. Quand j’écoute de la musique, par exemple, je l’associe toujours à des nuances de couleurs qui défilent dans ma tête (comme l’un de mes personnages, ça alors, quelle coïncidence). Je suis quelqu’un d’hypersensible, et plus le temps avance, plus je comprends que même pour l’écriture, je dois mobiliser tous mes sens. Je ferai un article plus détaillé là-dessus, si ça vous intéresse !

Un processus éditorial chronophage
Bref, malgré tout ça, et heureusement!, j’ai plusieurs romans terminés dans mes tiroirs. Alors, pourquoi ils ne sortent pas, eux non plus ?
Eh bien parce qu’un livre ne s’arrête pas à l’écriture. Une fois terminé, il y a tout un processus éditorial qui commence : corrections, relectures, promotion, communication, devis, échanges avec d’autres professionnels, mise en page, etc…
Je suis auto-éditée, ce qui signifie que je porte la majorité des casquettes indispensables à l’objet-livre tel qu’il arrivera chez ses lecteurs. Cela signifie aussi que tout repose sur mes épaules et de fait, je dois être certaine que le livre en question est prêt à être publié. Éditer un livre, c’est une vraie prise de risques : on y joue sa réputation d’auteurice, son argent (en auto-édition, hein, ne payez jamais dans d’autres situations!) et surtout, on met notre cœur sur la table. Du moins, c’est mon cas.

Sortir un livre, c’est s’exposer aux critiques. Forcément, quand il est disponible à la vente, les lecteurs vont y projeter leur propre vécu, leurs propres attentes et si parfois, ça matche, d’autres fois ils peuvent être déçus. C’est le jeu, et c’est normal ! Mais imaginez d’un point de vue d’auteur·ice, quand on reçoit des critiques négatives (parfois pas toujours bienveillantes), à quel point cela peut remuer. Pour ma part, je le disais plus haut, je suis hypersensible. Et pour éviter de me sentir comme la dernière des merdes quand on n’aime pas ce que j’écris, je dois me blinder. Comment ? En présentant un bouquin dont, je suis certaine, je n’aurais pas pu tirer mieux.
Là aussi, c’est un processus long, qui nécessite des centaines de relectures, de corrections, de changement de virgules, de crises de nerfs, bref… je suis convaincue que plus on attend, plus nos textes sont meilleurs. Seulement, ça ne fait pas tout.

Car un livre ne se vend pas tout seul. Et pour ma part, c’est surtout là, que le bât blesse.

Une concurrence énorme
Saviez-vous que certaines statistiques nous disent qu’il faudrait publier au minimum un roman tous les trois mois pour espérer (commencer à) en vivre ? Ce serait le temps idéal, apparemment, pour ne pas tomber dans l’oubli et espérer sortir du lot. Vous imaginez le travail de titan ? Car une fois que le livre est écrit, prêt à être publié, qu’il ressemble à un “vrai livre”, il faut arriver à le vendre.
Or, ce n’est un secret pour personne, nous sommes à l’ère d’une surconsommation incontrôlable. Il suffit souvent de regarder le nombre de sorties pour la rentrée littéraire pour s’en rendre compte : 521 romans en 2021. Et ça, ce n’est qu’une infime partie. La même année, d’après Livres Hebdo, 68 047 titres (soit près de 270 par jour ouvré) sont sortis. Et encore, je ne crois pas que les indépendants soient comptés dans le lot. Alors évidemment, c’était une année exceptionnelle post-Covid, mais il faudrait être naïf pour croire qu’on peut être visible facilement dans cette marée toujours plus grande.

Personnellement, je n’ai plus envie depuis longtemps de faire partie de ce système qui broit et précarise les personnes qui se trouvent au tout début de la chaîne. C’est en partie pour ça que j’ai choisi l’auto-édition d’ailleurs. Pouvoir maîtriser le processus de bout en bout me tenait à cœur. Seulement, il est compliqué de trouver les outils adaptés.
Les réseaux sociaux, par exemple. Pour Ceux qui restent, c’est ce qui me prenait le plus de temps, car les algorithmes vous obligent à poster tous les jours sous peine de tomber dans l’oubli. Sur certains d’entre eux, revenir après un certain temps de vide, c’est la punition assurée. Nos posts ne sont pas mis en avant, n’apparaissent même pas chez nos abonné·e·s au profit de posts sponsorisés… et même notre consommation des réseaux a changé. On ne prend plus le temps de s’arrêter, on scrolle rapidement, plusieurs fois par jour, on se dit que tiens, on va regarder ça. Puis on oublie.
C’est aussi mon cas. J’essaie souvent de me forcer à aller voir les comptes des copines, mais pas assez à mon goût.
Et cette année notamment, j’ai vu beaucoup de copines écrivaines laisser tomber, tant elles étaient épuisées. C’est vrai que, parfois, on a l’impression de hurler dans une pièce remplie de gens qui ne nous entendent pas. Les réseaux sociaux, c’est formidable quand on a le temps de les apprendre. Sinon, c’est une machine à broyer : le temps, l’esprit, la motivation.
On investit beaucoup, toujours plus, pour avoir de moins en moins de résultats. Ou alors, il faut prendre le temps d’étudier les spécificités de chacun et ça, c’est un travail à part entière. Quand on a, comme moi, déjà toutes les casquettes et un emploi salarié à temps plein à côté, c’est impossible.

Alors on fait quoi ?
Ben on revoit ses priorités, ma pauvre Lucette. Et on sort moins de livres. Parce que c’est chronophage et que de plus, ma créativité n’est pas un soldat que je peux mobiliser à loisir. J’aimerais bien, pourtant ! 😛
Mon objectif, c’est de sortir un livre tous les ans, voire tous les deux ans quand c’est vraiment impossible (comme cette année). Je ne me lance pas dans une course de vitesse qui m’épuisera, je préfère une course de fond. Attention, je ne critique absolument pas les auteurices qui sortent plusieurs romans par an, bien au contraire ! J’ai l’immense chance de ne pas dépendre de ça pour vivre et je m’estime privilégiée par rapport à des personnes qui sont obligées de s’épuiser et de charger la mule pour en tirer un SMIC. Voire moins, le plus souvent.

Il y a quelques années, je voulais vivre de mon écriture. Vraiment beaucoup.
Mais j’ai très vite compris que ce ne serait pas pour moi et que malgré tout l’amour que je porte à cet art, je ne pouvais pas m’épuiser davantage. Parfois il peut se passer des semaines sans que j’écrive un mot, d’autres fois (elles sont rares mais ça arrive) je vais écrire tous les jours. Et c’est bien comme ça.
L’écriture a une place particulière pour moi, il est hors de question qu’elle devienne une contrainte. En réalité, la publication, je l’ai toujours vue comme un jeu, un terrain d’expérimentation à grande échelle. Mais les règles évoluent trop vite et trop souvent pour que ce jeu soit distrayant sur le long terme et je rebats régulièrement les cartes pour le transformer en quelque chose que je vais aimer et avoir envie de continuer.

Voilà pourquoi, donc, je ne sors pas plus de livres et j’en suis très heureuse aujourd’hui.
Je vous invite d’ailleurs vivement à encourager les écrivain·e·s que vous appréciez et dont vous aimez le travail. Parfois, un seul mot peut illuminer une journée. Parfois, vous serez peut-être la petite étincelle qui fait que cette personne, en particulier, va finalement décider de ne pas abandonner.

Et surtout, lisez !